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29 juillet 2011 5 29 /07 /juillet /2011 15:13

 

 

 

Arto PAASILINNA, Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen

 

 

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Présentation de l'éditeur :

 

À l'approche de la cinquantaine, le pasteur Oskar Huuskonen traverse une mauvaise passe. Son mariage bat de l'aile, sa foi vacille, ses prêches peu conformes aux canons de l'Église lui attirent les foudres de ses supérieurs et ses paroissiens le désolent. Comme si cela ne suffisait pas, ses ouailles décident de lui offrir pour son anniversaire un cadeau empoisonné : un ourson qui vient de perdre sa mère. Ruiné et l'esprit chagrin, Huuskonen décide de partir à l'aventure avec son ours. Un long périple qui les mènera de la mer Blanche à Odessa, Haïfa, Malte ou Southampton, en quête d'un sens à leur existence.

 

 

L'auteur :

 

Arto Paasilinna est né en Laponie finlandaise en 1942. Successivement bûcheron, ouvrier agricole, journaliste et poète, il est l'auteur d'une trentaine de livres, pour la plupart traduits en français et qui ont toujours rencontré un grand succès. Citons entre autres Le Lièvre de Vatanen, Petits suicides entre amis ou encore Un homme heureux.

 

 

Titre original : Rovasti Huuskosen petomainen miespalvelija

 

 

Année de publication : 1995 

 

 

Premières lignes : 

 

  «Le Diable rôde parmi nous tel un lion rugissant !"

Le pasteur Oskar Huuskonen, appuyé des deux mains à la balustrade de sa chaire, fixait d'un regard implacable les paroissiens de Nummenpää assemblés à ses pieds, la tête courbée sous le poids du péché.»

 

 

 


 

 

Mon avis :

 

Je connaissais seulement l'auteur de réputation lorsque j'ai entamé ce livre et c'est donc un euphémisme de dire que je ne m'attendais pas du tout à ce genre de littérature ! Un peu bêtement, je l'avoue, sa nationalité finlandaise m'avait conduite à imaginer une histoire austère et minimaliste, rédigée dans un style sec et dépouillé. Hélas, les préjugés sont inévitables et ce, dans tous les domaines.

 

Si j'ai été aussi surprise passées les premières pages, c'est que ce roman est l'exact opposé de ce que j'imaginais, soit un déroutant mélange d'absurde, de farfelu, parfois même de burlesque, voire de picaresque, tantôt très prosaïque, tantôt onirique, charmant, drôle, solaire et généreux.

 

Le pasteur Huuskonen, personnage principal de l'ouvrage, est à la fois coureur de jupons et un peu alcoolique sur les bords, avec un vrai grain de folie s'exprimant particulièrement lors de la pratique de son loisir favori : le javelot ascensionnel (rire garanti à la lecture de ces pages).

 

Soudainement, sa petite vie s'emballe à l'orée de son cinquantième anniversaire : alors que sa femme le quitte, que sa hiérarchie le réprimande pour ses sermons inappropriés et que sa foi plus que fluctuante l'abandonne à ses doutes, ses paroissiens lui offrent une sorte de cadeau empoisonné : un ourson venant de perdre sa mère et judicieusement prénommé par eux Belzébuth.

 

Après un apprivoisement mutuel et une hibernation partagée, l'homme et le plantigrade partiront ensemble pour un long périple, qui de prime abord ressemble fort à une fuite, mais qui peu à peu se transforme en quête initiatique. Traînant sa solitude et ses questions existentielles à la rencontre d'autres solitudes, le pasteur cherche un sens à sa vie.

 

Le parti pris réellement original de l'auteur est de raconter son histoire de façon très réaliste, donc au premier degré, or celle-ci est tellement extravagante (le pasteur apprend à son ours à repasser, cuisiner et servir à table, entre autres choses !) que le lecteur doit forcément la prendre au second degré, et de ce décalage naît l'humour.

 

Cette forme littéraire pourrait finalement s'apparenter à un conte, ou une sorte de fable sur les désillusions d'un homme abandonné par tous les humains, même par son dieu, et qui cherche sa rédemption et sa foi perdue autour du monde, en compagnie d'un ours qui devient son meilleur ami.

 

Derrière un ton apparemment léger, l'auteur porte un regard incisif et sans concession sur la société, notamment les représentants religieux. À tel point que la véritable humanité nous semble finalement le mieux incarnée par un pasteur alcoolique et défroqué et son ours dressé. Tous les personnages croisés dans le livre sont d'ailleurs attachants, nombreux étant ceux à la limite de la folie douce.

 

Certains thèmes ici développés par l'auteur sont apparemment présents de façon récurrente dans toutes ses oeuvres : l'écologie, la nature et les animaux, les voyages, ou encore la fuite (lui-même a dû fuir la guerre, enfant). Dans cet ouvrage, le lecteur est constamment dépaysé, dans les grandes étendues glacées du début, puis lors du grand périple des deux compères.

 

Quant au style de Paasilinna, on jurerait tout d'abord qu'il n'a rien d'exceptionnel, mais peu à peu un rythme, une petite musique se forment et l'on se retrouve pris dans cette lecture sans trop savoir comment, ce qui est sans doute la marque des grands écrivains. Il faut aussi souligner que la très belle traduction y est sûrement pour quelque chose.

 

 

 

Ma note :


 

7 étoilesSept étoiles (sur dix).

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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 10:00

 

 

 

Diane SETTERFIELD, Le treizième conte

 

 

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Présentation de l'éditeur :

 

Vida Winter, auteur de best-sellers vivant à l'écart du monde, s'est inventé plusieurs vies à travers des histoires toutes plus étranges les unes que les autres et toutes sorties de son imagination. Aujourd'hui âgée et malade, elle souhaite enfin lever le voile sur l'extraordinaire existence qui fut la sienne. Sa lettre à sa biographe Margaret Lea est une injonction : elle l'invite à un voyage dans son passé, à la découverte de ses secrets. Margaret succombe à la séduction de Vida mais, en tant que biographe, elle doit traiter des faits, non de l'imaginaire, et elle ne croit pas au récit de Vida. Les deux femmes confrontent les fantômes qui participent de leur histoire et qui vont les aider à cerner leur propre vérité. Dans la veine du célèbre Rebecca de Daphné Du Maurier, ce roman mystérieux et envoûtant est à la fois un conte gothique où il est question de maisons hantées et de sœurs jumelles au destin funeste, et une ode à la magie des livres.

 

 

L'auteur :

 

Diane Setterfield, spécialiste d'André Gide, vit à Harrogate (Yorkshire). Le Treizième Conte, son premier roman, vendu dans 34 pays, est devenu d'emblée un best-seller, en particulier aux États-Unis où il est entré n° 1 sur la liste du New York Times.

 

 

Titre original : The thirteenth tale

 

 

Année de publication : 2006

 

 

Premières lignes :

 

"On était en novembre. Il n'était pas encore très tard, et pourtant le ciel était déjà sombre quand j'empruntai Laundress Passage."

 

 


 

 

Mon avis :

 

Je n'attendais rien de particulier de la lecture de ce roman, ce qui explique sans doute pourquoi je l'ai apprécié.  En effet, s'il est souvent risqué de placer de trop grands espoirs en certains ouvrages dûment adoubés par la critique et les maisons d'édition sous peine d'être cruellement déçu, il est en revanche fort agréable de se faire surprendre par un livre dont on ne sait rien.

 

Celui que je vais évoquer mêle plusieurs thèmes principaux, tels que les relations familiales et les secrets en leur sein, la gémellité, la littérature, sans oublier l'amour et aussi la nature. Dans une demeure typiquement anglaise, sise dans un paysage typiquement anglais, une romancière au soir de sa vie, Vida Winter, fait venir auprès d'elle une jeune femme (nommée Margaret Lea) pour lui conter son existence ainsi que celle de sa famille, dans le but de rédiger sa biographie. Seulement, Vida aime mentir et inventer, aussi Margaret devra démêler le vrai du faux afin que son travail soit aussi rigoureux que possible.

 

L'auteur adopte ici une trame narrative complexe et bien construite, basée sur des allers et retours constants entre passé et présent, qui se répondent et parfois même s'imbriquent. En effet, Margaret va devoir mener sa propre enquête sur Vida, ne pas prendre tout ce qu'elle lui raconte pour la stricte vérité et ce faisant, un lien, comme en miroir, se tisse entre elles, qui fera résonner le passé de la jeune femme.

 

Au fil du récit de Vida, qui déroule la vie de sa famille sur plusieurs générations, le lecteur découvre toute une galerie de personnages, pour certains excentriques, à la psychologie très fouillée. Bien décrits et fortement caractérisés, nombre d'entre eux sont également fortement perturbés par les drames qui frappent successivement la famille. Le récit connaît ainsi de multiples rebondissements, l'omniprésence de mystères ne faisant que renforcer le suspens qui irrigue le roman.

 

Un parallèle est clairement mis en place par l'auteur entre le manoir dans lequel se déroule l'intrigue (sur deux périodes de temps) et l'évolution des personnages qui le peuplent : de joyeux et flamboyant, le domaine perd progressivement de sa superbe, devenant triste et délabré. Ainsi les héros connaîtront eux-mêmes une lente décadence, loin de leur magnificence passée.

 

J'ai beaucoup apprécié l'ambiance très particulière nourrie par les descriptions détaillées de cette vaste demeure (dont le beau jardin se transforme peu à peu en une sorte de jungle), ainsi que des landes aux alentours, qui se nappent de brume dès la nuit tombée. Tout cela permet de créer cette atmosphère sombre, romantique et mystérieuse si propice au récit.

 

L'auteur, de par son écriture, fait d'ailleurs immédiatement penser aux grands auteurs victoriens (dits "gothiques") du XIXe siècle, telles les soeurs Brontë avec Les hauts de Hurlevent et Jane Eyre, ou Wilkie Collins avec La femme en blanc. Quant au rythme de l'intrigue, il est volontairement assez lent, ce qui m'a semblé aussi agréable que reposant à une époque où les histoires semblent devoir se dérouler à toute allure.

 

Très bien écrit (et doté d'une excellente traduction), cet ouvrage voit l'auteur user d'un style ample et élégant afin de développer ce qui n'est rien moins qu'une véritable ode au pouvoir de la littérature et des livres, notamment ceux datant de l'époque victorienne.

 

Pour conclure, je dois souligner à quel point se dégagent charme et émotion de cette lecture. Au milieu des personnages attachants qui composent cette vaste saga familiale, se glisse cette question pertinente : comment discerner la vérité du mensonge, la réalité du conte ? Bref, ce retour en guise d'hommage aux grands classiques est donc aussi rafraîchissant que réussi, et surtout, il fait du bien !

 

 

 

Ma note :


 

  7 étoilesSept étoiles (sur dix).


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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 09:19

 

 

 

Marc-Antoine MATHIEU, Les Sous-sols du Révolu

 

 

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Présentation de l'éditeur :

 

Dans un futur indéterminé, à moins qu'il ne s'agisse d'un monde parallèle ou d'une autre dimension de la réalité, Marc-Antoine Mathieu nous entraîne dans les profondeurs du musée, dans les entrailles de l'institution. Nous suivons les pas du Volumeur, chargé de quantifier l'inquantifiable, et de son assistant Léonard. Ils vont arpenter les coulisses du plus grand musée du monde pour en prendre les mesures. Mais peut-on mesurer l'incommensurable ?

 

 

L'auteur :

 

Marc-Antoine Mathieu, 45 ans, vit en Anjou. Après des études aux Beaux-Arts d'Angers, il travaille dans une agence de graphistes-scénographes spécialisée dans la création d'expositions. C'est surtout avec L'Origine, publié en 1990, qu'il se révèle non seulement un graphiste et scénographe hors pair, mais aussi un conteur de talent. Unanimement reconnu par la presse, il obtient le prix du meilleur premier album aux salons d'Audincourt et de Mulhouse, et l'Alph Art du Coup de Coeur à Angoulême l'année suivante.

 

Année de publication : 2006

 

 

Premières lignes :

 

"Dans le quartier sud de l'ancien centre de la cité, entre le boulevard Réformé et la Petite Fontaine, s'étale sans vergogne la grande esplanade du Musée. Le Musée du Révolu, c'est ainsi qu'on le nomme couramment. Mais certains l'appellent "Le Voulu Démesuré". D'autres "L'Oeuvre du Muselé"... ou encore "Le Seul Mou du Rêve"... On dit que tous ces noms sont des anagrammes du véritable nom du Musée, qui aurait été oublié." 


 

 


 

 

Mon avis :

 

Ayant fait mes études d'histoire de l'art à l'École du Louvre, j'étais à la fois ravie et intriguée lorsque cette bande dessinée m'a été offerte. Ravie parce que le thème semblait a priori fait pour moi, intriguée au vu du titre et lors de la découverte des premières pages.

 

En effet, l'auteur adopte ici un parti pris assez original : plutôt que de donner à voir, de façon conventionnelle, les oeuvres exposées dans ce musée prestigieux qu'est le Révolu (anagramme du Louvre, pour ceux qui n'auraient pas suivi !) , il préfère dévoiler l'envers du décor, la face cachée de l'iceberg, la machinerie complexe qui le fait fonctionner.

 

Dans les pas d'un Volumeur, personnage mystérieux chargé de recenser, de mesurer et de classifier les activités en sous-sol, le lecteur se voit entraîné, je dirais même plongé, au sein d'un monde obscur et labyrinthique, sorte de ville dans la ville inaccessible au profane et donc réservée aux seuls initiés.

 

C'est donc avec délices que l'on découvre diverses salles et endroits, tous plus étonnants les uns que les autres, avec ce même sentiment de privilège éprouvé durant mes années d'étude, lorsque des lieux fermés au grand public nous étaient exceptionnellement ouverts.

 

Dans cette ambiance très particulière, un peu désuète, à la fois étrange et énigmatique, l'auteur fait la part belle à l'imaginaire, voire même à l'absurde. Le Volumeur travaille et les salles défilent, ainsi que le temps, mais à mesure que les années passent, il semble évident qu'il ne viendra jamais à bout de ce travail inhumain, quitte pour lui à mourir à la tâche...

 

L'auteur semble d'ailleurs, à l'instar de son héros, mettre sciemment son lecteur dans un état de perte de repères spatiaux et temporels : non seulement on ignore à quelle période historique se déroule l'histoire, mais en outre l'ouvrage est scandé par le décompte des jours de travail, le temps avançant par saccades irrégulières, comme pour mieux nous égarer dans les méandres de cette institution tentaculaire.

 

L'ouvrage est également l'occasion de dépeindre et de rendre hommage à de très nombreux corps de métiers méconnus, sans lesquels aucun musée ne pourrait correctement fonctionner. Ces travailleurs de l'ombre, ces petites mains anonymes nous rappellent que chaque rouage a son importance, même dans une machinerie aussi gigantesque.

 

Les points centraux sont la quête de l'obstiné Volumeur et son sens du devoir, puisqu'il consume sa vie entière dans cette tâche, qui prend dès lors un caractère presque sacré. Déployant plusieurs niveaux de lecture, on trouve dans cette oeuvre un important symbolisme, fait de multiples clins d'oeil, qui parleront notamment aux familiers des arcanes de ce musée.

 

L'auteur semble opposer d'une part le travail scientifique, laborieux et comptable du Volumeur, de l'autre le Révolu, sorte d'incarnation de l'Art, lequel échappe par essence à toute tentative de classification et de rationalisation : protéiforme, démesuré, il ne peut être domestiqué et le combat semble perdu d'avance pour chaque Volumeur, tant leur tâche paraît infinie.

 

De très nombreux détails sont des références savantes pour qui saura les décrypter, citons par exemple cette astucieuse mise en abyme d'un tableau peint dans un autre tableau, lequel figure dans un troisième, et ainsi de suite. On peut y voir une allusion aux oeuvres sur lesquelles l'artiste se représentait lui-même en train de peindre, dans un complexe jeu de reflets. L'un des plus fameux exemples est bien sûr Les Ménines, de Diego Velásquez.

 

En ce qui concerne la forme de cet ouvrage, c'est-à-dire le dessin, j'ai apprécié la grande maîtrise technique de l'auteur, ainsi que la beauté majestueuse des grandes planches qui ponctuent l'histoire. L'emploi exclusif du noir et blanc contribue à créer cette atmosphère mystérieuse et confère à l'oeuvre son intemporalité et son universalité.

 

Pour conclure, déroutante au premier abord de par son manque relatif de réelle intrigue et de dialogues, cette bande dessinée se révèle bien plus subtile et complexe qu'il n'y paraît. Je vous engage à donc vous laisser entraîner dans ses profondeurs sans résister, le voyage en vaut la peine...

 

 

 

Ma note :


 

7 étoilesSept étoiles (sur dix).

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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 15:56

 

 

 

Patricia CORNWELL, PostMortem

 

 

 

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Présentation de l'éditeur :

 

Ça y est. Le tueur a de nouveau frappé... Une jeune femme d'une trentaine d'années, cette fois. La quatrième en deux mois. Une Noire et trois Blanches. Etranglées. Violées. La ville de Richmond a l'habitude du meurtre. Elle se classe deuxième, aux Etats-Unis, pour son taux de criminalité. Mais il s'agit généralement de règlements de comptes, pas de crimes sexuels de ce genre... Un «serial killer» ? Un échappé d'un asile ou d'une prison qui frappe au hasard ? Le Dr Kay Scarpetta n'en croit rien. Elle a sa petite idée. Et le temps presse. Hélas, quand on est femme et médecin légiste, la vie n'est pas facile. On cherche plus souvent à vous mettre des bâtons dans les roues et des espions dans l'ordinateur qu'à vous faciliter la tâche...

 

 

L'auteur :

 

Née en 1956 à Miami, Patricia Cornwell est tout d'abord journaliste, spécialisée dans les armes à feu et les faits divers. Elle occupe ensuite le poste d'informaticienne à l'Institut médico-légal de Richmond, dont la directrice lui inspire l'héroïne récurrente d'une série de romans : Kay Scarpetta. PostMortem, le premier d'entre eux, reçoit à sa sortie le prestigieux Edgar Poe award, ainsi que le Prix du roman d'aventures en France.

 

 

Titre original : Postmortem

 

 

Année de publication : 1990

 

 

Premières lignes :

 

"Il pleuvait à Richmond, ce vendredi 6 juin.

Les trombes d'eau qui s'abattaient sans interruption depuis l'aube avaient plumé les lilas et jonché de feuilles la chaussée et les trottoirs. Les caniveaux débordaient et les terrains de jeux étaient inondés. Je m'étais endormie au son des gouttes qui tambourinaient sur le toit d'ardoise, mais les premières heures de ce samedi me jetèrent dans un rêve terrifiant."

 

 

 


 

 

Mon avis :

 

C'est avec ce livre, premier paru d'une série qui en compte dix-huit à ce jour, que j'ai fait la connaissance du Docteur Kay Scarpetta, sous la plume alerte et rigoureuse de Patricia Cornwell. Si, de nos jours, il devient heureusement plus commun de voir des femmes tenir le premier rôle dans des univers à part comme celui de la médecine légale, je crois pouvoir dire qu'il en allait tout autrement il y a vingt ans, lors de la publication de cet ouvrage. 

 

D'ailleurs, si l'on considère attentivement son héroïne, il semble évident que l'auteur nous tend une sorte de miroir qui la reflète elle-même. En effet, il ne devait pas être facile, au début des années quatre-vingts, d'être une journaliste spécialisée dans les crimes et les armes. Tout comme Kay Scarpetta, elle a sans doute été occasionnellement en butte au machisme et à la misogynie de certains de ses collègues.

 

Les similitudes ne s'arrêtent pas là : mariées et divorcées, natives de Miami, blondes aux cheveux courts et aux yeux clairs, proches de la quarantaine, nombreux sont les points communs entre son personnage principal et Patricia Cornwell. Avoir travaillé comme informaticienne à l'Institut médico-légal de Richmond lui a de plus fourni assez de matière et d'inspiration pour bâtir un ouvrage aux bases extrêmement solides, tant du point de vue technique que scientifique.

 

Car ce roman policier a justement pour originalité la mise en avant de la science dans la résolution d'enquêtes criminelles, longtemps avant la déferlante des "Experts" à la télévision. Grâce à la légitimité de l'auteur en ce domaine, la crédibilité de l'histoire est assurée, ce qui permet d'ailleurs au lecteur d'apprendre de nombreuses choses intéressantes au fil des pages.

 

Dans l'univers a priori froid et désincarné de sa morgue, Scarpetta dispense chaleur et surtout humanité, car pour elle les morts ne sont pas juste des numéros. Elle en a la charge et surtout la responsabilité, s'en préoccupe sincèrement et n'a de cesse de leur rendre le respect et la dignité dont leur meurtrier les a privés. Kay évolue dans cette ambiance très masculine, mais parvient en toutes circonstances à conserver sa sensibilité et sa féminité, sans pour autant renoncer à sa force intérieure.

 

Autour d'elle gravitent plusieurs personnages attachants, à commencer par l'inénarrable inspecteur Peter Marino. Macho, alcoolique et blasé au premier abord, il va se révéler plus complexe, faisant preuve de ruse, d'intelligence et de courage. Wesley Benton, le séduisant analyste du F.B.I. et Lucy, la jeune nièce surdouée de Kay, complètent cette équipe que l'on aura plaisir à suivre de livre en livre.

 

Quant à la structure du roman, elle ne prend pas la forme du "whodunit" (de "who done it ?") cher à Agatha Christie, avec un coupable présent dès le début de l'enquête et démasqué publiquement lors d'une scène de reconstitution grandiose, devant tous les suspects potentiels. La focale se fait ici sur le processus même de l'enquête, avec un dénouement nettement moins théâtral, ce qui n'empêche pas le suspens.

 

J'apprécie plusieurs choses dans les oeuvres de Patricia Cornwell, la première étant le choix de faire parler Scarpetta à la première personne, garantissant au lecteur une identification maximale. Ensuite, j'ai toujours plaisir à lire ses descriptions, très poussées, qu'elles concernent des techniques scientifiques et informatiques, ou bien de petits détails du quotidien, tels que la gastronomie (Scarpetta est d'origine italienne) ou l'observation de la nature.

 

Je dois avouer que je ne m'attendais pas à apprécier autant la langue utilisée par l'auteur, car les polars sont souvent assez fades de ce point de vue. Certes, son style n'est ni flamboyant, ni tape-à-l'oeil, mais plutôt sobre et subtil, efficace et véritablement littéraire (et bien traduit !). Bien sûr, il est plus facile de l'apprécier après la lecture de plusieurs ouvrages, ce qui permet alors de découvrir une réelle unité de ton, un rythme et une musique des mots propres à l'auteur.

 

Autre originalité de cette série des enquêtes de Kay Scarpetta : contrairement à ces héros qui ne prennent jamais une ride et n'évoluent pas, tous les personnages récurrents présentés dans ce livre vont, au fil des opus, vieillir, changer, mourir même (pour certains), donnant au lecteur l'impression d'appartenir à une sorte de famille. Je vous engage donc à y entrer, sans toutefois faire l'impasse sur la chronologie, vous risqueriez de vous en mordre les doigts !

 

 

 

Ma note :


 

7 étoilesSept étoiles (sur dix).

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11 mars 2011 5 11 /03 /mars /2011 17:39

 

 

 

Elizabeth GOUDGE, La colline aux gentianes

 

 

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Présentation de l'auteur :

 

La «Colline aux Gentianes» est cette butte surmontée d’une chapelle, au-dessus du port de Torday, où les marins ont l’habitude d’aller en pèlerinage. La vie est-elle jamais autre chose qu’une navigation entre les écueils, et le naufrage ne nous est-il pas promis ? C’est ce qu'apprendra Zachary, marin déserteur de quinze ans qui ne supporte pas l’horreur de la vie à bord (nous sommes à l’époque des guerres napoléoniennes) et qui cherche dans un coin perdu de campagne à oublier ses peurs et à se faire oublier. Mais les souvenirs s’arrangent toujours pour vous rattraper par la manche. Le garçon rencontrera sur son chemin la petite Stella, douze ans, qui le fascine et qui en fascine bien d’autres. Stella non plus n’est pas d’ici. Adoptée par des paysans, elle a toujours eu le sentiment d’habiter en rêve un autre pays. Quel sera l'avenir de ces deux solitaires ?

 

 

L'auteur :

 

Elizabeth Goudge (1900-1984) fut en plein XXe siècle un anachronisme vivant : une Victorienne (du type solitaire sauvage) accrochée à ses nostalgies, mais rebelle, comme fut avant elle Emily Brontë, à laquelle on l'a plusieurs fois comparée. La Colline aux Gentianes, l'un des plus grands romans d'Elizabeth Goudge, se situe en effet dans le droit fil des Hauts de Hurlevent.

 

 

Titre original : Gentian hill

 

 

Année de publication : 1949

 

 

Premières lignes :

 

"Par une claire soirée d'août, la flotte entrait à Torday, portée sur l'haleine légère d'un vent favorable. C'était un spectacle si enchanteur que les pêcheurs des villages groupés autour de la baie le contemplaient émerveillés ; délaissant sa tâche coutumière et abritant ses yeux de la main, chacun d'eux s'efforçait, consciemment ou non, d'imprimer en lui cette vision assez profondément pour qu'elle demeure un trésor jusqu'à la fin de sa vie." 

 

 

 


 

 

Mon avis :

 

Je suis à la fois ravie et anxieuse de m'attaquer à l'oeuvre d'Elizabeth Goudge, car autant le dire tout de suite, elle compte parmi mes auteurs préférés, aucune année ne passant sans que je ne relise rituellement l'un de ses livres. D'où mes sentiments partagés : ravie de la faire découvrir à ceux qui n'en auraient jusque ici jamais entendu parler, anxieuse à l'idée de ne pas lui rendre suffisamment justice en expliquant quel écrivain exceptionnel elle était.

 

Inexplicablement sous-estimée, ses romans sont aujourd'hui quasiment tombés dans l'oubli. Toutefois, je soupçonne que même à l'époque de leur parution, ils n'ont pas dû plaire tant que ça à ses contemporains. En effet, Elizabeth Goudge n'était pas vraiment de son temps, ce décalage chronologique expliquant peut-être la disgrâce dont elle est victime depuis lors.

 

Venons-en au livre lui-même : La colline aux gentianes se déroule dans un petit village de la côte ouest de l'Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle, durant les guerres napoléoniennes. Outre ce cadre, l'histoire d'amour entre les deux personnages principaux, Stella et Zachary, nous emmènera ensuite en d'autres lieux et en d'autres temps, au fil des rebondissements de l'intrigue.

 

J'aime chez l'auteur son habileté à décrire ses personnages avec subtilité et une grande finesse psychologique, les rendant immédiatement attachants. Comme souvent chez elle (lire La vallée qui chante), les deux héros sont un peu en marge, avec le sentiment de ne pas appartenir à ce monde, notamment la petite Stella qui se réfugie dans l'univers merveilleux de ses rêves.

 

Quant à Zachary (qui a déserté le bateau de guerre sur lequel il s'était enrôlé), il est douloureusement tiraillé entre la peur de retourner au combat et son sens du devoir. L'histoire décrit donc la victoire de son courage et de sa force de caractère sur ses appréhensions, ce qui nous permet de retrouver deux thèmes récurrents chez cet auteur, à savoir la rédemption menant à la guérison de l'âme.

 

Fille de pasteur, la religion est omniprésente dans l'oeuvre d'Elizabeth Goudge, de même que la spiritualité sous sa forme la plus intense et la plus pure. Certes, cela donne sans doute un aspect quelque peu désuet au texte, mais il s'agit justement selon moi de l'un des ingrédients qui en font tout le charme.

 

Il en va de même pour son goût des légendes et des mythes, qu'elle entrelace avec la réalité et même parfois, une petite touche de surnaturel. De ce mélange très spécial se dégage une impression de magie, commune à tous ses ouvrages. Cela explique également l'atmosphère de quiétude, de sérénité profonde qui nous envahit durant la lecture.

 

Très présent dans ce livre, un autre trait propre à l'auteur, à savoir sa célébration de l'espoir, vainqueur de tous les doutes, de tous les drames. Et que dire de son exaltation de la nature ! On se délecte de ces descriptions, peintures majestueuses et lyriques des farouches paysages de la campagne anglaise, au travers desquelles transparaît son amour profond pour son pays.

 

J'apprécie également l'intérêt qu'elle porte aux métiers, ainsi qu'à tous les petits détails du quotidien qui en disent toujours plus long qu'il n'y paraît. Cet ouvrage permet ainsi de découvrir de nombreuses coutumes de la vie paysanne de cette époque. À l'opposé, nous est également décrite la rude vie des marins à bord des navires militaires, avec notamment des scènes épiques de batailles navales où l'on ressent tout à la fois la violence de la guerre, mais aussi celle de la mer.

 

Je finirai par l'écriture : légère, délicate, poétique et sensible, ponctuée ça et là de touches de gravité, et dans l'ensemble, parcourue d'un souffle romanesque qui laisse le lecteur émerveillé. J'en profite pour saluer la grande qualité du travail accompli par la traductrice attitrée de l'auteur, sans comparaison avec les versions plus modernes.

 

En conclusion, j'espère être parvenue dans cet article à rendre à Elizabeth Goudge la place qu'elle mérite au côté des soeurs Brontë, de Thomas Hardy ou encore de Jane Austen. Injustement oubliés, ses textes sont pourtant d'une envergure romanesque largement équivalente. C'est donc pour cette raison que je vous conseille chaudement la lecture de ses romans, car tous sont de vrais petits bijoux de grâce et de douceur.

 

 

 

Ma note :


 

8 étoilesHuit étoiles (sur dix).

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 15:15

 

 

 

Mary Ann SCHAFFER & Annie BARROWS,  

Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates

 

 

 

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Présentation de l'éditeur :

 

Janvier 1946. Londres se relève douloureusement des drames de la Seconde Guerre mondiale et Juliet, jeune écrivaine anglaise, est à la recherche du sujet de son prochain roman. Comment pourrait-elle imaginer que la lettre d'un inconnu, un natif de l'île de Guernesey, va le lui fournir ? Au fil de ses échanges avec son nouveau correspondant, Juliet pénètre son monde et celui de ses amis. Un monde insoupçonné, délicieusement excentrique. Celui d'un club de lecture créé pendant la guerre pour échapper aux foudres d'une patrouille allemande un soir où, bravant le couvre-feu, ses membres venaient de déguster un cochon grillé et une tourte aux épluchures de patates... Juliet est conquise. Peu à peu, elle élargit sa correspondance avec plusieurs membres du Cercle. Jusqu'au jour où elle comprend qu'elle tient avec le Cercle le sujet de son prochain roman et se rend à Guernesey. Ce qu'elle va trouver là-bas changera sa vie à jamais.

 

 

Les auteurs :

 

Mary Ann Shaffer est née en 1934 aux États-Unis. C'est lors d'un séjour à Londres, en 1976, qu'elle commence à s'intéresser à Guernesey. Sur un coup de tête, elle prend l'avion pour gagner cette petite île oubliée où elle reste bloquée à cause d'un épais brouillard. Elle se plonge alors dans un ouvrage sur Jersey qu'elle dévore : ainsi naît sa fascination pour les îles Anglo-Normandes. Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates est son unique roman, écrit en collaboration avec sa nièce, Annie Barrows, elle-même auteur de livres pour enfants. Mary Ann Shaffer est décédée en février 2008, peu de temps après avoir appris que son livre allait être publié et traduit en plusieurs langues.

 

 

Titre original : The Guernsey literary and potato peel pie society

 

 

Année de publication : 2008

 

 

Premières lignes :

 

                                                                                                                                                        8 janvier 1946

 

Mr. Sidney Stark, Éditeur

Stephens & Stark Ltd.

21 St. James Place

Londres SW1

Angleterre

 

 

    «Cher Sidney,

 

      Susan Scott est une perle. Nous avons vendu plus de quarante exemplaires du livre, ce qui est plutôt réjouissant, mais le plus merveilleux, de mon point de vue, a été la partie ravitaillement.»

 

 

 


 

 

Mon avis :

 

Comme bien souvent, ce livre m'a été prêté, et je peux assurer que son titre original et excentrique a joué un grand rôle lors de son achat. Il faut dire que cette mystérieuse phrase à rallonge, de même que la maquette soignée de la couverture, dégagent une indéniable force d'attraction sur toute personne qui y pose les yeux.

 

Intriguée, j'ai rapidement eu, après l'incongruité de son titre, une seconde surprise  : il s'agit d'un roman épistolaire, genre relativement peu usité et dont je n'avais pas lu de représentant depuis fort longtemps, avec Les liaisons dangereuses et Les souffrances du jeune Werther.


Ce n'est qu'une fois la lecture terminée que l'on réalise à quel point cette forme de construction plutôt rare était un choix judicieux, car elle contribue à renforcer l'impression surannée qui se dégage du livre, lequel commence en 1946, juste après la Seconde Guerre mondiale. Parvenir à maintenir l'intérêt du lecteur ainsi que le dynamisme du roman est d'ailleurs une prouesse, tant ce mode d'écriture semble statique à première vue, au risque de créer une distance avec le lecteur.

 

Heureusement, ce n'est pas le cas et l'on se passionne vite pour l'histoire, d'autant que la petite y rejoint vite la grande. On devine sans peine les recherches fouillées et la documentation solide réunie en amont du livre. Celui-ci a le mérite de nous transporter en une période assez peu traitée en littérature (par rapport au nombre d'oeuvres consacrées à la guerre elle-même) et de nous faire découvrir une zone géographique méconnue (a fortiori à cette époque) : les îles Anglo-Normandes.

 

Le choix de ce point de vue assez inattendu fait que l'on apprend énormément de choses intéressantes à ce sujet. L'auteur parvient aisément à transmettre sa passion pour ces îles, essentiellement au travers des descriptions détaillées de leurs paysages et de leurs habitants. Deux lieux et deux atmosphères s'opposent alors : Londres en ruines, qui tente de se remettre des bombardements et où règnent encore les privations, et Guernesey qui panse elle aussi ses plaies, mais continue à dégager ce charme typiquement insulaire, fait d'une mélancolie indéfinissable.

 

Pour en venir à l'histoire, l'héroïne du livre, Juliet Ashton, romancière vivant à Londres, va fortuitement entrer en contact avec un membre d'un Cercle littéraire de Guernesey, par l'entremise d'un ouvrage lui ayant appartenu. Petit à petit, au fil des lettres échangées, elle découvrira la genèse de ce Cercle, ainsi que la vie de ses membres, qui tous finiront par lui écrire, jusqu'à ce qu'elle-même, conquise, décide de se rendre sur leur île afin de les rencontrer.

 

L'auteur utilise pour son récit une construction élaborée, sorte de tissage de lettres entrelacées décrivant à la fois des événements contemporains, mais également les souvenirs de la guerre. La trame narrative est donc composée à l'image d'un puzzle, dont on découvre peu à peu toutes les pièces, lesquelles finiront par prendre forme et acquérir un sens.

 

Les personnages, nombreux (il est d'ailleurs assez difficile de tous les retenir au départ), deviennent rapidement très attachants, puisque décrits de manière subtile et sensible. Quant à l'héroïne, Juliet, on la découvre tout à tour vulnérable, drôle, piquante et émouvante, le ton de ses lettres renforçant l'identification avec le lecteur grâce à leur ressemblance avec un journal intime.

 

Les grincheux objecteront sans doute que ce livre est plein de bons sentiments. Je leur réponds : "et alors ?" Du moment qu'il ne tombe ni dans la mièvrerie ni dans la guimauve, je ne vois pas quel mal il y aurait à cela. Les quelques passages qui sembleraient à certains un peu trop naïfs ou sentimentaux permettent juste au lecteur d'espérer et de rêver (comme dans un conte pour enfants). Le charme irrésistible de ce roman, sa magie, proviennent aussi des thèmes qu'il développe, tels l'amour des livres et l'importance de la lecture dans la construction de l'esprit.

 

Le premier petit bémol que je concède concerne la fin du livre. En effet, si la première partie (savoureuse et très divertissante) et la seconde (plus grave) sont très réussies, l'issue du roman est quant à elle un peu décevante, un ton en dessous du reste. L'explication est peut-être que l'auteur a moins pris part à son écriture à cause de sa santé déclinante, le relais étant pris par sa nièce, mais avec moins de talent.

 

Second bémol : je trouve un peu étrange que tous les membres du Cercle littéraire s'expriment avec le même niveau de langage, ceci malgré leurs différences de statut social. On peut juste regretter qu'il n'y ait pas davantage d'aspérités distinctives dans leurs lettres permettant de les caractériser, comme l'emploi d'un vocabulaire particulier, voire d'un patois local.

 

Ceci m'amène au texte, dans lequel l'auteur emploie un style très tenu et même assez élégant. Son écriture à la fois légère et virevoltante, pleine de finesse, n'est pas dénuée d'humour et même parfois, de poésie. On peut d'ailleurs saluer (outre la très bonne traduction) la performance consistant, pour une Américaine, à saisir et rendre parfaitement le ton et l'ambiance d'un roman anglais, avec sa juste dose d'absurde, de grâce et d'excentricité.

 

Je conseille donc la lecture ô combien rafraîchissante de ce livre pétillant et délicieux, volontairement désuet et surtout, plein d'humanité. Oubliez pour un temps votre cynisme, car ici s'expriment des valeurs positives et nécessaires, surtout en temps de crise : solidarité, empathie, courage et amitié. Un ouvrage optimiste qui fait du bien, ne boudez pas votre plaisir !

 

 

 

Ma note :

 

7 étoilesSept étoiles (sur dix).

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 15:48

 

 

 

 

Richard LLEWELLYN, Qu'elle était verte ma vallée !

 

 

 

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Présentation de l'éditeur :


Huw Morgan, gamin du Pays de Galles, pousse en graine dans une vallée hier encore ensauvagée où l'on a trouvé du charbon. Ici, tous les hommes sont à la fois paysans et mineurs. Huw perçoit tout et n'est pas loin de tout comprendre : le travail de plus en plus dur, de plus en plus dangereux ; les salaires sans cesse rattrapés par les prix ; les patrons pleins de morgue ; les ouvriers toujours prêts à tirer respectueusement leur bonnet sur le passage des nantis... Nul doute, il fera bientôt partie de ceux qui disent non, qui lèvent déjà l'étendard de la révolte. Précisons que nous sommes fort loin, ici, du roman à idées. Qu'elle était verte ma vallée ! n'est pas un Germinal anglo-saxon, mais l'un de ces récits racontés à hauteur d'homme où les sentiments semblent droit jaillis de la poitrine et du ventre. On comprend que le grand John Ford ait tenu à porter au cinéma cette histoire taillée dans le vif à francs coups de lame et qui vous laisse, après cinq cents pages, le coeur battant. 

 

 

L'auteur :

 

Romancier anglais, Richard David Vivian Llewellyn Lloyd est né à Londres en 1906 et mort en 1983. D'une vie pleine de péripéties, on retiendra qu'il travailla notamment comme mineur, avant de servir dans la Welsh Guard durant la Seconde Guerre mondiale. Il sera ensuite journaliste et scénariste de films pour la MGM. Auteur de vingt-trois romans, Qu'elle était verte ma vallée ! masque quelque peu, par son succès, le reste de son oeuvre. Traduit en vingt langues, vendu à travers le monde à plusieurs millions d'exemplaires, il incarne aujourd'hui, de façon presque emblématique, la révolte de la terre meurtrie par la folie des hommes.


 

Titre original : How green was my valley

 

 

Année de publication : 1939

 

 

Premières lignes :


"Je vais envelopper mes deux chemises, avec mes chaussettes et mon habit du dimanche, dans le bout d'étoffe bleue que ma mère avait coutume de nouer autour de ses cheveux quand elle faisait le ménage, et je quitterai la vallée." 

 

 


 

 

Mon avis :

 

Bien que j'en sois à ma troisième ou quatrième lecture, cet ouvrage exerce toujours sur moi sa magie et sa singularité. À la fois chronique de la mine, saga familiale, conte d'une ère révolue, c'est avant tout un roman initiatique et ce, à plus d'un titre : le jeune narrateur, Huw, y fera certes l'apprentissage de l'amour, mais aussi du monde sans pitié du travail, de la violence de la politique (avec les syndicats de mineurs), ainsi que de son identité galloise.

 

À travers ses yeux, le lecteur découvre une vallée d'une farouche beauté, située au sud du Pays de Galles, dans laquelle vivent plusieurs communautés de mineurs. Parmi les Morgan, sa famille, tous les hommes descendent tôt ou tard à la mine, comme une fatalité dont ils tirent cependant leur fierté. L'auteur la décrit de façon presque organique, nous faisant ressentir l'incroyable dureté des conditions de travail, si bien qu'elle devient presque un personnage à part entière.

 

L'histoire déroule donc les années d'enfance et d'adolescence du narrateur jusqu'à ce qu'il devienne un jeune adulte, c'est-à-dire qu'il perde ses illusions et abandonne peu à peu sa vision parfois naïve de l'existence. Né au sein d'une grande famille, on se trouve donc plongé en sa compagnie dans le quotidien difficile des mineurs et de leurs épouses, qui ont pour seul espoir que leurs enfants ne soient pas obligés de mener la même vie qu'eux.

 

Contraint à l'immobilité totale suite à une paralysie temporaire des jambes, le jeune Huw ne peut donc pas se rendre à la mine comme ses frères et découvre alors un milieu bien différent : celui des femmes, dont se détachent deux fortes personnalités, à savoir sa mère et sa charmante jeune belle-soeur, Bronwen.

 

L'angle de vue adopté par l'auteur passant par le biais d'un jeune garçon, cet univers féminin nous est donc décrit comme mystérieux, voire même parfois inquiétant (je pense à l'épisode de l'accouchement). Cependant, se développe également au fil des pages un puissant hommage rendu aux femmes, dont la force de caractère et le courage en font de véritables héroïnes à part entière, dans cet environnement minier pourtant très masculin.

 

Quant à Huw, il fait certes preuve d'une grande sensibilité, mais celle-ci va de pair avec la violence de ses sentiments, sans oublier sa tendance naturelle à la rébellion. Cette dernière grandira d'ailleurs en même temps que lui, tandis qu'il sera de plus en plus confronté aux drames, aux injustices et à l'arbitraire.

 

C'est justement l'occasion que saisit l'auteur pour dénoncer le mépris, voire même le racisme dont les Anglais faisaient preuve à l'époque envers les Gallois,  en refusant notamment de les laisser parler leur langue à l'école. Celle-ci, qui aurait dû être un sanctuaire, un temple du savoir et de la connaissance prônant la tolérance, va se transformer pour Huw en un lieu d'humiliations, de danger et de brutalités en tous genres.

 

Dans ce roman, je trouve la plupart des personnages (et particulièrement les membres de la famille Morgan), extrêmement attachants, car pleins d'humanité et surtout, éloignés de tout manichéisme grâce à des tempéraments fouillés et à une approche psychologique tout en nuances. Je dois quand même signaler, du moins au début, la légère difficulté à resituer chacun dans la famille, tâche assez ardue à cause de la complexité des prénoms gallois !

 

Sinon, du point de vue du style, le texte est vraiment très bien écrit (et traduit), dans une langue puissante, imagée, et souvent poétique lorsqu'elle s'applique aux descriptions des paysages, à travers lesquels l'auteur nous transmet son amour viscéral pour sa terre.

 

Il s'en dégage un réel souffle dramatique et romanesque, une peinture subtile des sentiments, ainsi qu'une profonde mélancolie, qui persiste après avoir refermé le livre. Mélancolie d'avoir partagé les moments précieux et fragiles d'une enfance remplie d'espoirs et d'émerveillement, dans une vallée d'abord miraculeusement protégée de la cruauté du monde extérieur, puis finalement rattrapée et engloutie par la folie des hommes, puissante métaphore du désenchantement inhérent à l'arrivée de l'âge adulte.

 

Le roman se clôt d'ailleurs sur cette phrase, pleine de nostalgie :

"Qu'elle était verte, alors, ma vallée, la vallée de ceux qui ne sont plus !"

 

 

 

Ma note :


 

9 étoilesNeuf étoiles (sur dix).

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3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 12:03

 

 

 

 

Paul HARDING, La galerie du rossignol

 

 

 

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Présentation de l'éditeur :

 

Après Hugh Corbett et Kathryn Swinbrooke, Paul C. Doherty - cette fois sous le pseudonyme de Paul Harding - nous présente un nouveau " grand détective ", frère Athelstan, un dominicain de vingt-huit ans, féru d'astronomie, assistant éclairé de Sir John Cranston, coroner de Londres. Cette première enquête se déroule en 1377, au lendemain de la mort du fameux Prince Noir, bientôt suivi dans la tombe par son père, le roi Edouard III. Alors que la couronne d'Angleterre tombe aux mains d'un enfant, le futur Richard II, les intrigues de la noblesse se succèdent et une terrible lutte de pouvoirs va déchirer le pays, entraînant la désapprobation de l'Église et des grands négociants de la capitale. Après l'assassinat ignoble de l'un d'eux, quelques jours après le décès du roi, le coroner et frère Athelstan entrent en scène. Leur mission va les mener des taudis de Whitefriars aux ors et aux fastes de la Cour.

 

 

L'auteur :

 

Paul Charles Doherty est né en Angleterre en 1946. Après avoir été tenté par la prêtrise, il étudie l'histoire à Oxford et devient professeur d'histoire médiévale. Directeur depuis presque trente ans du Trinity Catholic High School, il est également un auteur à succès, avec plus de 80 ouvrages publiés à ce jour, sous sept pseudonymes différents : Paul Harding, Paul C. Doherty, C. L. Grace, Vanessa Alexander, Michael Clynes, Anna Apostolou et Ann Duthkas. Il a créé plusieurs séries policières historiques, chacune mettant en scène un ou des héros récurrents, dont les plus célèbres sont Frère Athelstan et Sir John Cranston, Coroner de Londres, Hugh Corbett, espion du Roi, ou encore Kathryn Swinbrooke, apothicaire à Cantorbery.

 

 

Titre original : The nightingale gallery

 

 

Année de publication : 1991

 

 

Premières lignes :

 

"Le vieux roi se meurt." Le vent s'emparait de la rumeur et la propageait le long de la Tamise. Les bateliers la murmuraient et les cogghes de mer au ventre rond l'emportaient sur la côte. Edouard déclinait ; le grand et blond vainqueur de la France, le nouvel Alexandre de l'Occident, se mourait."

 

 

 


 

 

Mon avis :

 

 

La galerie du rossignol est le premier livre de la série que Paul Doherty a consacrée à son surprenant tandem d'enquêteurs médiévaux, Frère Athelstan et Sir John Cranston. C'est également le premier ouvrage de cet auteur que j'ai eu l'occasion de lire, ce qui m'a ensuite donné envie de découvrir certaines de ses autres séries en cours, tout aussi réussies.

 

Ce roman policier nous entraîne dans les rues et venelles de la ville de Londres à la fin du XIVe siècle, à la poursuite d'un meurtrier qu'un jeune Frère Dominicain et le Coroner de la ville, sommés de collaborer, sont censés démasquer. Nous sommes ici en présence de deux antihéros, mais les apparences sont trompeuses : au premier abord, Frère Athelstan semble timide et effacé, tandis que les colères de Cranston font trembler les suspects, du moins lorsque son penchant pour le clairet contenu dans sa "gourde miraculeuse" ne l'endort pas purement et simplement en plein interrogatoire...

 

Cependant, derrière cette façade peu flatteuse, on découvre bientôt que le premier se montre fort observateur, doué de logique et d'esprit d'analyse, tandis que le second cache un grand coeur, beaucoup de courage et une certaine ruse sous un tempérament emporté et soupe au lait. Malheur à ceux qui feront l'erreur de les sous-estimer !

 

L'enquête qui les occupe ici permet au lecteur d'explorer une Londres médiévale, dépeinte de façon à la fois vivante et instructive. À plusieurs reprises, j'ai critiqué sur ce blog des romans historiques (voir La dame de Pérouges, ou Poisons) pour leur manque de solidité quant aux références employées. Quand je disais que j'étais devenue difficile à force de lire des ouvrages exemplaires en la matière, je pensais notamment à ceux de Paul Doherty.

 

De toute évidence, il ne s'agit pas de la même catégorie d'écrivain, ce dernier étant, avant tout, un véritable historien. Cela signifie une documentation très solide et des recherches poussées en amont de l'écriture du livre, soit pour le lecteur une confiance totale quant à la véracité de ce qui lui est raconté. C'est ainsi que dans cet ouvrage, on apprend de nombreux détails passionnants sur les différents modes de vie de l'époque, mais aussi sur la religion, ou encore sur la politique et ses luttes de pouvoir en une période aussi troublée que méconnue, surtout du public français.

 

Les deux héros forment un tandem attachant qui peut d'abord sembler décalé, voire improbable, mais au fil des pages on réalise que ces deux-là, chacun dans son rôle,  se complètent parfaitement, le contraste entre leurs deux personnalités réjouissant le lecteur. L'auteur n'oublie pas pour autant les personnages secondaires, nombreux et bien campés, que l'on aura pour certains le plaisir de retrouver au fil des opus suivants. Je pense en particulier aux fidèles ouailles d'Athelstan, des paroissiens hauts en couleur, formant une sorte de Cour des Miracles dans l'un des quartiers les plus défavorisés de la ville, Southwark.


Paul Doherty excelle dans la description des milieux sociaux, quels qu'ils soient : le luxe de la haute aristocratie comme la fange du petit peuple, à travers les belles demeures, les palais ou les masures, les ruelles, les tavernes, les petits métiers... L'ambiance est tellement bien rendue (presque cinématographique) que l'on s'y croirait. Cela vient du fait que tous les sens sont mis à contribution, l'auteur évoquant non seulement les couleurs, mais également les odeurs et les sons de cette ville protéiforme, dont se dégage une incroyable humanité.

  

Quant à l'intrigue, astucieuse et bien menée, elle se place dans la grande tradition "agathachristienne" du whodunit, de "who done it ?", terme consacré pour parler des romans policiers où l'on ne découvre le coupable qu'à la toute dernière page. Des indices sont semés tout au long du livre, et comme le lecteur ne connaît pas l'identité du coupable (même si on lui dévoile quelques éléments de plus qu'aux héros), il devra mener ses propres déductions dans l'attente de la révélation finale, en présence de tous les suspects potentiels, comme il se doit !

 

Dans cette optique, la dynamique du récit tient à plusieurs rebondissements et au suspens qui s'installe, obligeant le lecteur à se prendre au jeu. Bien écrits, les dialogues sont truculents et souvent pleins d'humour, grâce notamment au caractère jovial de Sir John et à ses mémorables jurons ("Par le cul du Diable !" ou encore : "Par les tétons de la Reine Mab !"), qui ne sont que plus drôles, proférés devant un Frère Athelstan qui se doit de rester stoïque.

 

Je dois également souligner un détail d'importance : le texte est extrêmement bien traduit, ce qui tient du tour de force, quand on songe à la présence de nombreux termes médiévaux et au langage plus que coloré du Coroner. Bravo aux traductrices pour avoir su rendre fidèlement la langue de l'auteur, si savoureuse à lire.

  

Premier d'une série comptant à ce jour dix tomes, Paul Doherty pose dans ce livre les bases d'un duo d'enquêteurs dont la relation gagnera en profondeur au fil des ouvrages, tous très réussis. La recette d'un tel succès ? Comme avec la danse, où tout doit sembler facile, naturel et léger pour faire oublier des heures de répétitions acharnées, on devine ici un important travail de recherche, d'écriture et de construction, conférant à la lecture ce mélange de fluidité et de rouages complexes, mais parfaitement ajustés.

 

 

 

Ma note :


 

8 étoilesHuit étoiles (sur dix).

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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 17:02

 

 

 

Marguerite ABOUET et Clément OUBRERIE,

Aya de Yopougon, T1 à 6

 


 

 Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, Aya de Yopougon T1  Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, Aya de Yopougon T2   Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, Aya de Yopougon T3

 

 

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Présentation des ouvrages :

 

Tout au long des albums, on suit la vie d'Aya, jeune fille de 19 ans vivant à Yopougon (ou Yop City), quartier populaire d'Abidjan, en 1978. Loin des clichés de la guerre et de la famine, il s'agit d'une chronique drôle et savoureuse de la vie quotidienne de jeunes Ivoiriens dans un langage imagé, entre amourettes et vraies amitiés, rebondissements et dénonciations de certains tabous, le tout souligné par des dessins pleins de délicatesse.

 

 

Les auteurs :

 

Marguerite Abouet naît en 1971 à Abidjan. Elle grandit en famille dans le quartier populaire de Yopougon jusqu'à l'âge de douze ans. Puis ses parents l'envoient à Paris chez son grand-oncle où elle découvre les bibliothèques et se passionne pour les livres. Elle écrit bientôt des romans tout en exerçant divers métiers, mais ne les fait lire à personne. Finalement, elle décide de se consacrer uniquement à l'écriture et crée, avec la complicité de Clément Oubrerie, le personnage d'Aya.  En 2006, Aya de Yopougon est célébré par le prix du Premier album au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême.

 

Clément Oubrerie est né dans la région parisienne en 1966. Après quatre ans d'études d'arts graphiques, il stoppe tout pour partir deux ans aux États-Unis, où il se voit publié pour la première fois. Il a illustré une quarantaine d'ouvrages pour enfants et travaille également sur des projets dans le domaine de l'animation.

 

 

Années de publication : 2005-2010

 

 

Premières lignes :

 

"En 1978, la Côte d'Ivoire, mon beau pays, connut sa première campagne publicitaire télévisée. Elle vantait les mérites de la Solibra, notre bière reconnue dans toute l'Afrique de l'Ouest. Dago, un comédien à la mode, en buvait une gorgée, ce qui lui donnait la force de dépasser les bus à vélo."

 

 


 

 

Mon avis :

 

Si le premier tome de cette remarquable série m'a été offert, c'est grâce, d'une part, aux excellentes critiques qu'il avait suscitées, mais aussi et surtout parce que j'ai moi-même vécu sept ans en Côte d'Ivoire, arrivée justement en 1978, année du début de l'histoire. 

 

J'ai toujours adoré les bandes dessinées, ayant quasiment appris à lire dans les Tintin et les Astérix, avant de découvrir plus tard les oeuvres de Jacobs, Bilal, Guarnido et Loisel, entre autres. Cependant, aucune ne ressemble de près ou de loin à Aya de Yopougon, que j'ai immédiatement dévorée, et donc appréciée.

 

Cette B.D. savoureuse est en fait une sorte de chronique, sous forme de feuilleton, dépeignant la vie de plusieurs amis vivant dans le quartier d'Abidjan de Yopougon, surnommé Yop City. Aya, l'héroïne, est une jeune fille grave et sage de 19 ans qui se destine à être médecin. Autour d'elle, gravitent des personnages hauts en couleurs (par effet de contraste) et souvent bien plus légers, à commencer par ses deux meilleures amies nettement plus délurées, Bintou et Adjoua, ainsi que toute leur parentèle.

 

La façon qu'a l'histoire de s'ancrer dans la normalité quotidienne de cette jeunesse gaie et insouciante surprend agréablement, car elle renvoie de la Côte d'Ivoire une image positive et dynamique (on a parlé à cette époque de "miracle ivoirien" à propos de l'économie florissante), loin des fléaux qui la ravagent hélas de nos jours, à l'instar d'une bonne partie du continent africain : sida, famine, guerre et conflits ethniques... 

   

À la lecture, l'impression de dépaysement est accentuée par l'emploi d'une langue truculente dans des dialogues énergiques et enlevés ; d'ailleurs, de nombreux mots et expressions sont listés et expliqués à la fin de chaque ouvrage, dans le cultissime "Bonus ivoirien". L'humour est omniprésent dans les albums, venant des situations, mais également des failles des personnages, tous très attachants, y compris ceux que l'on pourrait qualifier de "losers". Dans les dialogues, les répliques font souvent mouche, tant il est vrai que personne (et surtout les femmes !) ne s'en laisse conter.

 

Ce ton très léger ne doit pas occulter le fait que l'auteur traite avec subtilité certains sujets plus graves et parfois même tabous, comme l'homosexualité, la bigamie, les mariages arrangés, l'accueil déplorable fait aux immigrés en France, ou encore le pouvoir mercantile de certaines fausses religions.

 

L'héroïne, Aya, est profondément féministe et de même, ses amies n'ont pas la langue dans leur poche lorsqu'il s'agit de remettre les hommes à leur place. Ces derniers ont souvent un rôle peu flatteur, ce qui ne les empêche pas de rester très humains, malgré toutes leurs faiblesses.

 

L'intrigue, vite éclatée en de multiples histoires parallèles, dues aux interactions entre les très nombreux personnages,  fait l'objet de plusieurs rebondissements dans chaque volume, créant un rythme dynamique et plein d'énergie. De plus, les albums s'achèvent pour la plupart en plein suspens, créant une réelle attente de la suite de la part du lecteur (ce qui explique d'ailleurs la nécessité absolue de les lire dans l'ordre chronologique) !

 

J'en viens enfin aux dessins, qui forment un écrin parfait à l'histoire, lui conférant son aspect pétillant et chaleureux. Expressifs lorsqu'ils dépeignent des personnages, extrêmement délicats et élégants quand ils concernent les jeunes filles, ils sont de plus portés par une splendide palette de couleurs très riches, en camaïeu, qui soulignent à volonté les temps forts de l'histoire : tonalités chaudes pour la partie ivoirienne, froides dès que l'intrigue se déplace en France. De plus, de magnifiques illustrations pleine page viennent scander la narration, comme des pauses graphiques bienvenues entre deux rebondissements.

 

Les albums sont invariablement clos par le fameux "Bonus ivoirien", lequel propose, outre le lexique des expressions et mots employés, de savoureuses recettes de cuisine (telles que la sauce arachide ou le poulet braisé), la façon de nouer son pagne pour porter son bébé dans son dos, celle d'agiter correctement ses fesses en dansant, ou tout simplement, de partager certains souvenirs d'enfance de l'auteur.

 

Étant désormais établi que la lecture d'Aya de Yopougon s'avérait particulièrement stimulante, savoureuse et dépaysante, je suis tenue de la recommander à tous, car comme on dit à Yop City : dêh ! C'est trop doux, là même !

 

 

Ma note :


 

  8 étoilesHuit étoiles (sur dix).

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5 novembre 2010 5 05 /11 /novembre /2010 16:37

 

 

 

LES ROBINS DES BOIS, L'histoire de France de avant à maintenant

 

 

 

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Présentation de l'éditeur :

 

Du premier hominidé à la Ve République, les Robins des Bois retracent l'Histoire de France avec rigueur : seuls les dates et les faits sont approximatifs.

Si tu crains de réussir ton bac ou de passer en classe supérieure,

Si tu es plus vieux que ton proviseur,

Si tu es en CE2 et que tu as trois enfants,

Si tu es barbu et que tu es à la maternelle,

Ce livre s'adresse à toi.

Grâce à lui tu pourras continuer à copier sur ton petit-fils en cours d'anglais, ôter ton dentier pour manger un twicks,

Compter tes points retraite avec ta maîtresse.

 

 

Les auteurs :

 

Les Robins des Bois, troupe de six comédiens de théâtre créée en 1996, compte dans ses rangs Pierre-François Martin-Laval, Marina Foïs, Jean-Paul Rouve, Maurice Barthélémy, Élise Larnicol et Pascal Vincent. Leur nom de scène vient de leur première pièce à succès, Robin des Bois, d'à peu près Alexandre Dumas.

 

 

Année de publication : 2004

 

 

Extrait :

 

AVANT-PROPOS


[...] Il nous semble que ce chef d'oeuvre de pédagogie devrait permettre à l'enfant, quels que soient ses revenus, d'acquérir des connaissances solides et sexuelles.

En effet, l'acquis de certains repères spatio-historiques en travers d'événements pointilleux devrait permettre un réel.

(Attention, cette phrase inachevée ne veut rien dire).

 

En vous souhaitant une bonne lecture, nous vous souhaitons une formule de politesse.

Les auteurs.*

 

 

*n'hésitez pas à nous appeler "les hommes de lettres" (note manuscrite)

 

 

 


 

 

Mon avis :

 

Avec ce livre on atteint en quelque sorte les limites de la critique, puisqu'il s'agit de juger cette perception toute personnelle qu'est l'humour. Celui-ci étant par essence extrêmement subjectif, cet article, plus que jamais, n'engagera que moi (à moins bien sûr d'être déjà familier avec l'univers de la troupe des Robins des Bois).

 

L'histoire de France de avant à maintenant aurait fort bien pu appartenir à la fameuse série dite Pour les nuls, mais alors au sens le plus littéral du terme ! En effet, vous ne trouverez ici aucune cohérence dans le propos et pléthore d'erreurs ou d'approximations, clairement revendiquées. Il faut donc voir ce livre comme une sorte de sketch version écrite, uniquement voué à faire rire.

 

Pour ce qui est du fond, et si difficile que soit l'analyse du comique, on peut quand même avancer que l'hilarité à la lecture provient des nombreux anachronismes, des inventions pures et simples, des raccourcis chronologiques, des décalages constants entre passé et présent, le tout pimenté par quelques allusions aux rôles stéréotypés de chacun au sein de la troupe (ce qui ne parlera qu'à ceux les connaissant déjà).

 

Il est donc assez risqué de disséquer une forme d'humour, surtout quand elle est aussi protéiforme que la leur, mais j'y discerne tout de même quelques ingrédients : un esprit très potache, puisant allègrement dans le monde naïf et parfois cruel de l'enfance, des pointes de surréalisme (un peu à la manière des Monty Python) et parfois des moments de trivialité, à la limite du vulgaire.

 

S'il est exact que nous sommes faits pour un type d'humour en particulier, alors celui des Robins des Bois me correspond parfaitement. Cela ne m'empêche pas d'apprécier par ailleurs des niveaux plus cérébraux (à la Woody Allen, par exemple), mais pour ce qui est du rire irrépressible et avouons-le, primaire, l'efficacité de ce livre sur moi est maximale !

 

Avant de conclure, je veux aussi rendre hommage à la mise en page de cet ouvrage. Je la trouve particulièrement élaborée et réussie, car elle correspond parfaitement à l'énergie inventive, souvent foutraque et explosive, que dégagent sur scène les Robins des Bois. Cette transcription d'un rythme et d'un bouillonnement qui leur est propre, de façon concrète et visuelle, est ici fidèlement rendue par trois techniques principales.

 

Tout d'abord les collages, omniprésents, multicolores et multiformes à base de photos, coupures de presse, matières diverses (comme du tissu ou des cheveux), apportent au livre une variété et une esthétique bien marquées, au service de l'humour, qu'ils contribuent à souligner et renforcer.

 

Ensuite, les annotations manuscrites (toujours de la même main, d'une écriture assez enfantine) qui viennent remettre en question les informations "officielles" en caractères d'imprimerie. De facture très libre, elles adoptent différentes tailles et peuvent aussi bien apparaître à la verticale qu'à l'envers, renforçant le dynamisme des pages. Elles peuvent également prendre la forme de ratures venant se superposer au texte imprimé.

 

Enfin, la multiplicité des couleurs, des polices de caractères, des textures des papiers servant de fond, des illustrations (allant des photos aux dessins d'enfants, en passant par des miniatures ou des gravures d'époque), tous employés à bon escient dans une maquette très hétéroclite au premier regard, mais en fait extrêmement soignée et bien pensée. Loin d'être anecdotique, la mise en page offre ainsi un plaisir visuel non négligeable tout en servant le propos général.

 

Vous l'aurez compris, si ce livre ovni me fait pleurer de rire (même à la dixième lecture !), il n'en sera sans doute pas de même pour tout le monde, aussi mieux vaudrait peut-être visionner d'abord quelques oeuvres des Robins des Bois (je pense à la saga "historique" La cape et l'épée) afin de voir s'ils parviennent à vous embarquer dans leur univers très particulier.

 

Par contre, à tous les fans de la première heure, cette lecture hilarante est chaudement recommandée !

 

 

Ma note :


 

  7 étoilesSept étoiles (sur dix).


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  • Correctrice-relectrice ayant une formation d'historienne de l'art, je suis passionnée de lecture et de tout ce qui a trait à la culture : dessin, photographie, expositions, cinéma. N'hésitez pas à visiter mon site de corrections orthographiques : www.lafauteavoltaire.fr
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