Arnaldur INDRIDASON, La femme en vert
Présentation de l'éditeur :
Dans une banlieue de Reykjavik, au cours d'une fête d'anniversaire, un bébé mâchouille un objet qui se révèle être un os humain. Le commissaire Erlendur et son équipe arrivent et découvrent sur un chantier un squelette enterré là, soixante ans auparavant. Cette même nuit, Eva, la fille d'Erlendur, appelle son père au secours sans avoir le temps de lui dire où elle est. Il la retrouve à grand-peine dans le coma et enceinte. Erlendur va tous les jours à l'hôpital rendre visite à sa fille inconsciente et, sur les conseils du médecin, lui parle, il lui raconte son enfance de petit paysan et la raison de son horreur des disparitions.
L'enquête nous est livrée en pointillé dans un magnifique récit, violent et émouvant, qui met en scène, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une femme et ses deux enfants. Une femme victime d'un mari cruel qui la bat, menace ses enfants et la pousse à bout. Voici à nouveau le commissaire Erlendur et ses adjoints Elinborg et Sigurdur Oli dans un récit au rythme et à l'écriture intenses et poignants, aux images fortes et aux personnages attachants et bien construits. La mémoire est comme toujours chez Indridason le pivot de ce roman haletant, qui hante longtemps ses lecteurs. Un Indridason grand cru !
Prix Clé de Verre 2003 du roman noir scandinave et Prix CWA Gold Dagger 2005 (Grande-Bretagne).
L'auteur :
Arnaldur Indridason est né à Reykjavik en 1961, où il vit actuellement. Diplômé en histoire, il a été journaliste et critique de cinéma. Il est l'auteur de romans noirs, dont La Cité des jarres. Plusieurs sont des best-sellers internationaux.
Titre original : Grafarþögn
Année de publication : 2001
Premières lignes :
"Il remarqua qu'il s'agissait d'un os
humain dès qu'il l'enleva des mains de l'enfant qui le mâchouillait, assis par terre."
Mon avis :
Pour ma première lecture d'un auteur islandais, je dois dire que la surprise a été très bonne. Habituée aux romans policiers, celui-ci ne ressemble en rien aux classiques du genre, majoritairement anglo-saxons, et peut selon moi revendiquer son appartenance à la littérature, ceci à plusieurs niveaux.
Tout dans cet ouvrage contribue au dépaysement : outre le paysage, je pense aux noms propres et aux patronymes, à la monnaie, aux références culturelles, bref, à tout ce qui permet normalement au lecteur de poser ses repères. Par contre, une fois l'acclimatation faite, on se laisse porter par l'intrigue au sein de ce monde inconnu et par là même, captivant.
L'intrigue est habilement tissée : si l'enquête se déroule de nos jours, le crime à élucider date quant à lui de la fin de la Seconde Guerre mondiale. De plus, le commissaire Erlendur doit résoudre cette énigme alors qu'il se débat avec de graves problèmes familiaux. Le récit juxtapose les remontées dans le temps (nous immergeant dans la cellule familiale où s'est déroulé le drame) et l'enquête contemporaine, qui doit se contenter du peu d'indices ayant survécu.
Cette construction élaborée permet de faire cohabiter deux périodes différentes pour conter en parallèle la genèse du meurtre et sa résolution plusieurs décennies plus tard, jusqu'au dénouement dans les deux cas : le mobile et l'identité du meurtrier. Quant aux personnages, ils sont riches et complexes, avec une approche psychologique fouillée. On s'attache rapidement à certains, notamment ceux dont le calvaire provoque à coup sûr la compassion du lecteur.
Du point de vue de la langue (très bien rendue à la traduction), l'auteur adopte un style âpre et froid, venant comme en écho aux tourments qui glacent chaque protagoniste. De même, l'économie de moyens, la lenteur assumée de l'intrigue, les descriptions poussées des sentiments, la désespérance minant le héros et l'importance du détricotage mémoriel pour parvenir à la vérité, créent une atmosphère bien particulière. À tel point qu'en dépit du suspens, la découverte ultime du meurtrier n'est plus si importante, moins en tout cas que le processus qui y conduit.
Autre point fort du livre, la terrifiante plongée en apnée dans une cellule familiale gangrénée par la violence et la toute-puissance d'un père cruel et tyrannique. Cette vision en interne des abus domestiques crée instantanément un processus d'identification et d'empathie du lecteur envers la victime du bourreau. Le plus effrayant ici est que le danger ne vient pas comme souvent de l'extérieur, mais bien de l'intérieur de ce foyer, un lieu où l'on devrait pourtant plus qu'ailleurs être en sécurité.
Je dirai pour conclure que ce livre m'a réellement transportée dans un autre monde grâce à un paysage, une culture, une atmosphère et un rythme très inhabituels, sa construction habile, ses personnages complexes et son intrigue riche en fausses pistes. J'ai aimé me perdre dans cette écriture et me laisser porter par l'histoire, c'est donc tout le mal que je vous souhaite à présent...
Je dois ajouter que ce livre est le deuxième mettant en scène le commissaire Erlendur et qu'au regard de sa situation familiale, mieux vaut les lire dans l'ordre chronologique. Au moins deux autres ouvrages consacrés au même héros ont paru depuis.
Ma note :
Sept étoiles (sur dix).