Elizabeth GOUDGE, La colline aux gentianes
Présentation de l'auteur :
La «Colline aux Gentianes» est cette butte surmontée d’une chapelle, au-dessus du port de Torday, où les marins ont l’habitude d’aller en pèlerinage. La vie est-elle jamais autre chose qu’une navigation entre les écueils, et le naufrage ne nous est-il pas promis ? C’est ce qu'apprendra Zachary, marin déserteur de quinze ans qui ne supporte pas l’horreur de la vie à bord (nous sommes à l’époque des guerres napoléoniennes) et qui cherche dans un coin perdu de campagne à oublier ses peurs et à se faire oublier. Mais les souvenirs s’arrangent toujours pour vous rattraper par la manche. Le garçon rencontrera sur son chemin la petite Stella, douze ans, qui le fascine et qui en fascine bien d’autres. Stella non plus n’est pas d’ici. Adoptée par des paysans, elle a toujours eu le sentiment d’habiter en rêve un autre pays. Quel sera l'avenir de ces deux solitaires ?
L'auteur :
Elizabeth Goudge (1900-1984) fut en plein XXe siècle un anachronisme vivant : une Victorienne (du type solitaire sauvage) accrochée à ses nostalgies, mais rebelle, comme fut avant elle Emily Brontë, à laquelle on l'a plusieurs fois comparée. La Colline aux Gentianes, l'un des plus grands romans d'Elizabeth Goudge, se situe en effet dans le droit fil des Hauts de Hurlevent.
Titre original : Gentian hill
Année de publication : 1949
Premières lignes :
"Par une claire soirée d'août, la flotte entrait à Torday, portée sur l'haleine légère d'un vent favorable. C'était un spectacle si enchanteur que les pêcheurs des villages groupés autour de la baie le contemplaient émerveillés ; délaissant sa tâche coutumière et abritant ses yeux de la main, chacun d'eux s'efforçait, consciemment ou non, d'imprimer en lui cette vision assez profondément pour qu'elle demeure un trésor jusqu'à la fin de sa vie."
Mon avis :
Je suis à la fois ravie et anxieuse de m'attaquer à l'oeuvre d'Elizabeth Goudge, car autant le dire tout de suite, elle compte parmi mes auteurs préférés, aucune année ne passant sans que je ne relise rituellement l'un de ses livres. D'où mes sentiments partagés : ravie de la faire découvrir à ceux qui n'en auraient jusque ici jamais entendu parler, anxieuse à l'idée de ne pas lui rendre suffisamment justice en expliquant quel écrivain exceptionnel elle était.
Inexplicablement sous-estimée, ses romans sont aujourd'hui quasiment tombés dans l'oubli. Toutefois, je soupçonne que
même à l'époque de leur parution, ils n'ont pas dû plaire tant que ça à ses contemporains. En effet, Elizabeth Goudge n'était pas vraiment de son temps, ce décalage chronologique expliquant
peut-être la disgrâce dont elle est victime depuis lors.
Venons-en au livre lui-même : La colline aux gentianes se déroule dans un petit village de la côte ouest de l'Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle, durant les guerres napoléoniennes. Outre ce cadre, l'histoire d'amour entre les deux personnages principaux, Stella et Zachary, nous emmènera ensuite en d'autres lieux et en d'autres temps, au fil des rebondissements de l'intrigue.
J'aime chez l'auteur son habileté à décrire ses personnages avec subtilité et une grande finesse psychologique, les rendant immédiatement attachants. Comme souvent chez elle (lire La vallée qui chante), les deux héros sont un peu en marge, avec le sentiment de ne pas appartenir à ce monde, notamment la petite Stella qui se réfugie dans l'univers merveilleux de ses rêves.
Quant à Zachary (qui a déserté le bateau de guerre sur lequel il s'était enrôlé), il est douloureusement tiraillé entre la peur de retourner au combat et son sens du devoir. L'histoire décrit donc la victoire de son courage et de sa force de caractère sur ses appréhensions, ce qui nous permet de retrouver deux thèmes récurrents chez cet auteur, à savoir la rédemption menant à la guérison de l'âme.
Fille de pasteur, la religion est omniprésente dans l'oeuvre d'Elizabeth Goudge, de même que la spiritualité sous sa forme la plus intense et la plus pure. Certes, cela donne sans doute un aspect quelque peu désuet au texte, mais il s'agit justement selon moi de l'un des ingrédients qui en font tout le charme.
Il en va de même pour son goût des légendes et des mythes, qu'elle entrelace avec la réalité et même parfois, une petite touche de surnaturel. De ce mélange très spécial se dégage une impression de magie, commune à tous ses ouvrages. Cela explique également l'atmosphère de quiétude, de sérénité profonde qui nous envahit durant la lecture.
Très présent dans ce livre, un autre trait propre à l'auteur, à savoir sa célébration de l'espoir, vainqueur de tous les doutes, de tous les drames. Et que dire de son exaltation de la nature ! On se délecte de ces descriptions, peintures majestueuses et lyriques des farouches paysages de la campagne anglaise, au travers desquelles transparaît son amour profond pour son pays.
J'apprécie également l'intérêt qu'elle porte aux métiers, ainsi qu'à tous les petits détails du quotidien qui en disent toujours plus long qu'il n'y paraît. Cet ouvrage permet ainsi de découvrir de nombreuses coutumes de la vie paysanne de cette époque. À l'opposé, nous est également décrite la rude vie des marins à bord des navires militaires, avec notamment des scènes épiques de batailles navales où l'on ressent tout à la fois la violence de la guerre, mais aussi celle de la mer.
Je finirai par l'écriture : légère, délicate, poétique et sensible, ponctuée ça et là de touches de gravité, et dans l'ensemble, parcourue d'un souffle romanesque qui laisse le lecteur émerveillé. J'en profite pour saluer la grande qualité du travail accompli par la traductrice attitrée de l'auteur, sans comparaison avec les versions plus modernes.
En conclusion, j'espère être parvenue dans cet article à rendre à Elizabeth Goudge la place qu'elle mérite au côté des soeurs Brontë, de Thomas Hardy ou encore de Jane Austen. Injustement oubliés, ses textes sont pourtant d'une envergure romanesque largement équivalente. C'est donc pour cette raison que je vous conseille chaudement la lecture de ses romans, car tous sont de vrais petits bijoux de grâce et de douceur.
Ma note :
Huit étoiles (sur dix).